le loukoum à la pistache


C’est un conte philosophique que l’on m’a raconté, lors d’une hospitalisation car il y avait un atelier contes. ???? J’ai beaucoup apprécié cette histoire et je pense que si nous sommes sensibles aux signes qui se manifestent subtilement dans nos vies, nous pourrions mieux avancer.

Je recopie tel que ce conte a été réécrit par Catherine Zarcate:

C’était quand le temps était dans le temps, dans le passé de l’âge et des moments, dans l’Antiquité des temps…

Il y avait un jour, en Orient, un homme qui était Grand Vizir. Il était si avisé qu’à son Conseil, le roi n’écoutait que lui et ne décidait rien sans son avis.

Les autres Vizirs étaient jaloux, mais « jaloux-verts » !

Tels des RATS, ils se sont dits :

« Rongeons l’arbre de la confiance du roi ! »

Et jour après jour, mot après mot, calomnie après calomnie, ils rongeaient…

Or, un jour d’entre les jours, notre homme va au bain public, au hammam. Il entre dans l’eau, et à un moment donné, sa bague – qui était un joyau inestimable que lui avait donné le roi -, sa bague glisse, à cause du savon. Mais au lieu de tomber au fond de l’eau (comme font les bagues), elle reste à la surface de l’eau !

Notre homme regarde ça interloqué, et tout à coup une compréhension soudaine, tel un éclair, illumine son regard. Un silence se fait en lui. Il sourit.

Il récupère vite sa bague et sort du hammam en courant. Il court, il court, il court, rentre chez lui, appelle tous les gens de sa maison et leur dit :
« Emballez tout ! Dépêchez-vous ! Formez une gigantesque caravane! Mettez mes biens à l’abri ! Dépêchez-vous ! Allez ! Allez ! Allez ! Dépêchez-vous ! »

Les gens se mettent à tout emballer. Lui, il va voir sa femme et lui dit :

« Ô ma bien aimée, ô ma lumière, ô ma colombe, ô ma part de bonheur sur le terre, ô lune parmi les étoiles, ô rose parmi les jasmins, ô étoile du matin, sache que nous allons devoir nous séparer. »

Ils ne s’étaient jamais quittés.

Mais elle a bien vu que c’était nécessaire. Alors elle l’a pris dans ses bras et a dit :

« Ô mon bien-aimé, pleurons. Pleurons les larmes amères de la séparation. »

Et ils ont pleuré ensemble.

« Tu vas te joindre à la caravane. Tu vas partir. Vous allez vous mettre à l’abri, chez le roi voisin, mon cousin, en attendant. Je resterai seul ici. »

Il n’est resté avec lui dans la maison qu’un vieux serviteur trop vieux qui ne voulait pas partir ; il gardait la maison toute vide avec dedans seulement un grand tapis troué, tout mité, un vieux bahut trop grand, trop pesant, c’est tout.

Le Grand Vizir est resté là pendant huit jours.

Au bout des huit jours, on frappe à la porte. Il ouvre et voit des officiers de la garde royale qui le saisissent, lui, le Grand Vizir! Il est malmené pendant tout le
chemin, jeté aux pieds du roi dans la salle du trône.
Le roi le regarde et crie :

« Je t’accuse de haute trahison !
– Mais je te suis fidèle ! Les gens veulent t’abattre en m’abattant ! Je suis le
pilier de ton royaume, ô mon roi !- Je ne te demande pas d’explication ! Qu’on le jet
te en prison ! Qu’il y croupisse et qu’il y meure ! »

On a voulu l’humilier. On ne l’a pas jeté dans les premières prisons du premier sous-sol avec les politiques. On ne l’a pas mis non plus au deuxième sous-sol avec les droits communs. Ni au troisième sous-sol avec les fous.

On l’a mis au quatrième sous-sol, là où il n’y avait que le salpêtre, l’humidité, les crachats, une paillasse pourrie qui pue la pisse…

Mais ce n’est pas ça qui était le pire. Avec les rats et les cafards pour seuls compagnons.

Mais ce n’était pas ça qui était le pire. La promiscuité avec un geôlier pervers qui le regardait comme ça…

Mais ce n’était pas ça qui était le pire. Vous voulez savoir, qu’est-ce qui était le pire ?

Le pire, c’est que là, quand il était au fond de la prison, il avait une envie terrible de manger… un loukoum à la pistache !…

Je sais, c’est idiot… Mais c’était comme ça. Ça lui était venu à l’esprit et maintenant cela ne pouvait plus le quitter ; il y pensait toute la journée ! Il avait beau essayer d’enlever cette idée de sa tête, tout le lui rappelait !

Le salpêtre, par exemple, le salpêtre blanc… comme le sucre glace, sur le loukoum à la pistache !
Les crottes de rat… délicieusement oblongues, comme les pistaches du loukoum à la pistache !
Les auréoles de pisse… vertes… comme le vert du loukoum à la pistache ! Tout le lui rappelait !

Un jour, il est allé voir le gardien, ce gardien ignoble qui gardait sa geôle:

« Toi qui vas dehors, est-ce que tu peux me ramener un loukoum à la pistache ? »

Et l’autre, pour une fois qu’il tenait un grand du royaume, il a dit :

« NNNonnn ! »

Et jour après jour, le vizir demandait et jour après jour, l’autre refusait. Cela a duré sept ans.

Un jour, au bout de sept ans – on ne sait pas pourquoi, l’histoire ne le dit pas, peut-être que parce qu’un désir qui dure sept ans, c’est rudement impressionnant ; peut-être aussi pour ne pas que nous désespérions de la nature humaine…

En tout cas, au bout de sept ans, cet homme, le geôlier, est arrivé avec un loukoum à la pistache, et l’a passé en même temps que le rata des prisons.
Le vizir, quand il a vu son loukoum qu’il attendait depuis sept ans ! Il a réfléchi parce qu’il avait faim…
Il était obligé de manger un peu de rata des prisons…

Mais vous savez, il y a deux écoles dans la vie : il y a ceux qui mangent le meilleur d’abord, et ceux qui gardent le meilleur pour la fin !

Lui, il a réfléchi et il s’est dit :

« Si je mange d’abord le loukoum à la pistache, après je devrai quand même
manger du rata pour passer ma faim, et j’écraserai le goût du loukoum que
j’attends depuis sept ans par celui du rata que je mange tous les jours !
Non ! Mieux vaut manger d’abord le rata, et ensuite, quand je mangerai le
loukoum à la pistache, il m’éclatera dans la bouche et j’en garderai le goût tout
l’après midi ! »

Il a donc mis son loukoum, là, à côté de lui, sur la paillasse, et il a commencé à manger son rata des prisons. A chaque bouchée de rata des prisons, il regardait son loukoum à la pistache avec amour !

Et il mangeait son rata des prisons, et il regardait son loukoum à la pistache avec amour ! Et il mangeait son rata des prisons, et il regardait son loukoum à la pistache avec amour !

A un moment donné, pendant qu’il mangeait son rata
des prisons, il y a un rat d’entre les rats des prisons qui vient et se ruesur le loukoum à la pistache ! …
pour le saisir, mais vous savez, le loukoum c’est mooou, alors la patte est entrée daaans le loukoum à la pistache !

Et le rat a essayé de dégager sa patte en appuyant avec l’autre patte et les deux pattes sont restées enfoncées dans le loukoum à la pistache !

Du coup, le rat a perdu l’équilibre et il a fait un roulé-boulédans le loukoum à la pistache et il a complètement écraboooouillé le loukoum à la pistache sous son poids, et le pauvre, il a eu peur, alors il a pissé de peur dans le loukoum à la pistache !

Et finalement il a répandu de la pisse de rat, du poil de rat, de la poussière de rat dans le loukoum à la pistache !

Bref, il l’a rendu immonde…

Quand notre homme a vu ça [que le loukoum était devenu immangeable à cause du rat], une fulgurance a traversé son regard, un sourire a illuminé son visage, dans un silence intérieur…

Et puis tout à coup, il a frappé la porte et a dit au geôlier :

« Va chercher le vieillard qui est resté dans la maison.»

Et quand le vieux a été là, il dit :
« Va prévenir mes gens, chez le roi voisin, qu’ils peuvent revenir ! »

Il ne s’était pas passé huit jours que le roi le fait sortir de sa prison et lui dit :

« Écoute, je viens d’arrêter les comploteurs, ils ont avoué qu’ils t’avaient calomnié pour affaiblir mon royaume. Et moi qui t’ai gardé enfermé pendant sept ans !!! Mon ami, unissons nos familles ! Que toujours tes enfants soient les vizirs de mes enfants ! Veuille me pardonner… Accepte cette robe d’honneur, cette somme d’argent – je sais que cela ne remplace pas la liberté que je t’ai prise… »

Le vizir s’est incliné et est rentré chez lui. Il a fait une fête. Une fête à tout casser ! Une fête pour la lumière. Une fête pour la liberté. Une fête dans son jardin avec sa femme, ses amis, le soleil, la chaleur, le vent…

Pendant cette fête, ses amis sont venus le voir et lui ont dit :

« C’est extraordinaire, huit jours avant que tu ne tombes en disgrâce, c’est comme si tu l’avais su, tu as mis tes biens de côté, tu as protégé ta femme, les gens de ta maison ; c’est étonnant. Et huit jours avant que tu ne remontes en grâce, c’est aussi comme si tu l’avais vu, et tu leur as fait signe de revenir. Mais enfin, explique-nous : Comment as-tu su ? »

Et il a répondu :

« Oh, ce n’est pas difficile : quand j’étais au hammam et que j’ai vu ma bague qui restait à la surface de l’eau, je me suis dit :
Ça, c’est de la chance ! Plus de chance que ça ? Il
n’y en a pas. Ma chance est au sommet de la courbe, maintenant, elle ne peut que descendre ! Et je me suis préparé à la descente ! Quand, après sept ans de dé
sir de loukoum à pistache, j’ai vu qu’on m’amenait enfin un loukoum mais qu’un rat venait et le rendait immonde, je me suis dit, c’est la fin ! c’est le fond ! Je ne peux que remonter !Et je me suis préparé à la remontée ! Et voilà toute l’histoire ! »

A la suite de cette histoire, les sages d’Orient disent :

« En écoutant cette histoire, tu peux entendre que quand tu es en haut, tu n’y resteras pas toujours, et que, quand tu es en bas, tu n’y resteras pas toujours
non plus ! »

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